« Je n'en doute pas, tu es quelqu'un de spécial avec qui c'est un honneur de pouvoir parler. Peut-être à un de ces jours. »

A la réponse du canidé, Kyrja haussa un sourcil moqueur. Que celui-ci ne fasse que la suivre dans ses sarcasmes ou qu'il soit des plus sincères, sa parole était on ne peut plus juste, pour une fois. La longibande n'avait pas besoin qu'on lui rappelle l'évidence. Le genre qui rendait plus formidable encore sa capacité à faire fuir tout un chacun... et pas seulement parce que ce n'était pas tous les jours que l'on pouvait avoir la chance d'une conversation avec une panthère nébuleuse.
Elle ne prit pas la peine de relever que, pour la énième fois, le goupil s'imaginait qu'elle allait rôder dans les parages. C'était bien amusant de la contredire les dix première fois, mais quand le nombre gagnait un nouveau zéro, ça devenait un peu barbant. Elle finirait peut-être par apprendre un jour que, non, Asshole City n'avait pas un charme fou, capable de retenir la vagabonde. En fait, il n'y avait nulle part un tel lieu. Le rythme de son cœur serait toujours trop rapide pour s'accommoder de l'immobilité.

Alors qu'elle s'attendait à pouvoir enfin profiter de nouveau de sa quiétude, elle entendit de nouveau les jacasseries de la renarde. A vrai dire, ça n'avait rien de trop surprenant de sa part, d'être incapable de se taire. Il devait y avoir une sorte de force invisible qui l'aimantait à Kyrja. On ne pouvait pas lui en vouloir, après tout.
La panthère nébuleuse se releva et étira ses muscles qui n'avaient décidément pas été assez employés cette nuit-là. Il était peut-être temps d'y remédier. Elle descendit par le tronc pour regagner le sol, et s'ébroua comme pour réveiller son corps.

« Je crains que tu ne doives te contenter de mon impérissable souvenir, à l'avenir. »

Elle avait lâché ces mots, en guise d'adieux, sur le même ton fier et moqueur qui la caractérisait tant. Ça, c'était certain ; la renarde ne risquait pas de l'oublier de sitôt. Elle se demanda un instant s'il n'aurait pas été de circonstances de lui suggérer de transmettre quelques salutations à son "maître". Mais, puisqu'elle ne serait pas là pour bénéficier du potentiel amusement qu'elle aurait pu tirer d'une telle situation, elle décida que cela n'en valait pas la peine.
Et puis, alors qu'elle entreprenait de s'enfoncer dans la forêt, dans une direction qui devait approximativement être l'ouest, une question vint la titiller. Elle s'arrêta et jeta un regard en arrière :

« Une dernière chose. Comment as-tu découvert ton... pouvoir ? »

« Oh, tu ne peux finalement plus te passer de moi ? lui répondit le goupil avec malice. De quel pouvoir tu parles ? Mon pouvoir de feu, ou ma capacité de parler ? »

Kyrja leva les yeux au ciel, s'apprêtant à la remettre face à sa stupidité d'une nouvelle réplique bien sentie. Pourquoi diable voudrait-elle connaître des détails sur ses vocalisations ? Elle n'avait pas besoin de quelqu'un pour la renseigner sur quelque chose qu'elle maîtrisait déjà. Heureusement, la renarde la coupa avant que ses mots ne puissent dépasser sa réflexion. Elle lui aurait presque été reconnaissante de ce manque de respect, lorsqu'elle songea que ça pouvait toujours être une information intéressante. Elle n'aurait sans doute, avant longtemps, pas d'autre occasion d'en apprendre un peu plus sur ses propres... différences.

« Si tu parles de ma capacité à m'enflammer, ça m'est venu tout seul après ma transformation en renard. En fait, mon corps a pris feu tout seul et j'ai beaucoup paniqué, au début. »

La longibande ne manqua pas de laisser échapper un ricanement. Mais celui-ci n'était pour une fois pas empreint de son habituelle méchanceté ; à vrai dire, n'importe qui aurait perdu ses moyens dans une telle situation. Pour autant, Kyrja ressentit une pointe de déception face à cette réponse qui n'était pas du genre qu'elle attendait. Elle ne se souvenait pas de lorsqu'elle était devenue ce qu'elle était. Pour autant qu'elle sache, elle avait toujours eu cette différence en elle, à l'inverse de la renarde. Cette dernière, toujours aussi intarissable, poursuivait ses explications :

« Mais quand j'ai vu que ça ne me blessait pas, je me suis calmée, et c'est comme ça qu'en me concentrant, j'ai appris à le manipuler. Je dois être parfaitement calme pour le contrôler à ma guise. »

Elle ne devait pourtant guère être "parfaitement calme" lorsqu'elle se trouvait en danger et dans la nécessité de se défendre. Un peu bête, comme situation.
La longibande écouta d'une oreille moins attentive la fin de ses explications, et, comme elle s'y attendait, n'y trouva que bien peu d'intérêt. Elles étaient trop différentes l'une de l'autre pour qu'elle lui soit d'une réelle utilité. Quel gâchis. Son visage marqua une légère surprise lorsque la renarde lui retourna la question. Elle n'avait pas songé à cette éventualité. Mais elle se reprit aussitôt et, après une brève réflexion, lâcha dans un sourire :

« Moi ? Je n'ai jamais été comme les autres. »

C'était là la seule vérité dont elle pouvait être certaine. Elle se détourna de nouveau et repris son chemin tranquille dans les ombres, sous la clarté dorée que diffusait le soleil naissant.
Quelque part, elle savait que c'était sa propre ombre, qu'elle fuyait.